Saydet el-Jabal propose une vision chrétienne alternative fondée sur la modération

وثائق لبنانية
17 حزيران 2016

RENCONTRE ANNUELLE
S.N. | OLJ29/02/2016

La rencontre de Saydet al-Jabal, qui a tenu hier sa douzième réunion annuelle au couvent de Fatqa, s'est orientée sur « les défis cruciaux » auxquels font face les pays de la région, et dont le Liban est loin d'être isolé, à l'heure de la montée des extrêmes. Cinq allocutions complémentaires ont démontré la nécessité d'une action réformiste en phase avec la réalité du terrain.

Le diagnostic de la situation étant un préalable nécessaire, l'ancien député Farès Souhaid, fondateur de la Rencontre, a commencé par cerner sous un angle critique les rapports de force en jeu actuellement. Revenant d'entrée sur le choix courageux du patriarche Hoyek d'opter pour le Grand Liban islamo-chrétien, au sortir de la Première Guerre mondiale, l'ancien député de Jbeil a estimé que le Liban se trouve aujourd'hui confronté à une gamme d'événements historiques, comme au début du siècle dernier, d'où l'importance d'élaborer une vision stratégique, aussi bien en tant que chrétiens que Libanais, pour savoir ce que nous voulons, comme le patriarche Hoyek en son temps.

Parmi les points évoqués par M. Souhaid, il y a notamment la question de l'intervention de la Russie dans le conflit régional, placée sous le signe de la protection des chrétiens. Elle obéirait, selon lui, à « deux tendances : une tendance impérialiste à raviver l'ère soviétique et ses influences régionales – cette tendance a pour support l'État russe ; et une tendance, véhiculée par l'Église russe, à se démarquer de l'Église occidentale ». Ces deux tendances sous-tendent « un parti pris en faveur du régime syrien et de l'alliance des minorités, justifiée par l'usage d'un slogan flou et équivoque, celui de la lutte contre le terrorisme », a relevé M. Souhaid, laissant entendre néanmoins que « les motifs réels de la Russie » ne sont pas encore déclarés et pourraient contribuer à une solution régionale.

En attendant, la rencontre de Saydet el-Jabal a pris soin encore une fois de déconstruire la théorie de l'alliance des minorités. L'intervention écrite de l'ancien ministre Tarek Mitri, distribuée aux participants, a été dans ce sens. « L'approche dualiste (qui met face à face la majorité et les minorités), si elle est retenue comme premier élément d'analyse de la situation, ou investie en faveur de politiques à court terme, ne fait que précipiter la survenance de ce que nous craignons. Et les craintes des minorités ne sont pas en contradiction avec celles de la majorité », a ainsi affirmé l'ancien ministre (lire par ailleurs). La synchronie entre les appréhensions des minorités et celles de la majorité a sous-tendu les interventions : la peur qui surgit chez une minorité trahit un malaise existant au niveau de la majorité. C'est le second qu'il faudrait régler en premier.

Le maintien du régime de Bachar el-Assad, par exemple, bourreau de la majorité des Syriens, ne peut que desservir les « minorités », même si celles-ci croient repérer dans cette dictature leur planche de salut.
Autrement dit, l'alliance des minorités est antinomique des démocraties arabes.


Assad au service d'Israël ?

Une preuve supplémentaire en serait la stratégie israélienne dans la région. Présent dans l'assistance, le chercheur Nabil Khalifé a ainsi fait état de « l'obsession sioniste actuelle de contrer l'extension sunnite démographique aux frontières d'Israël ». C'est ce qui pourrait expliquer, selon lui, « l'épuration actuelle des sunnites en Syrie ». Le maintien du régime ne peut que profiter à Israël, quand bien même celui-ci prétendrait être le relais, au Moyen-Orient, du modèle démocratique occidental, comme l'a relevé M. Souhaid.


C'est cette même « schizophrénie » qui se dégagerait de la politique iranienne dans la région. L'entrée en vigueur de l'accord sur le nucléaire, qui accorde à l'Iran une qualité « d'État » aux yeux de la communauté internationale, ne serait toutefois pas près d'atténuer ses projets d'exportation de la révolution islamique dans la région. Or la wilayet al-faqih serait, comme le califat de l'État islamique, l'un des courants islamistes fondamentalistes en émergence dans la région, souligne l'ancien député.

Comment circonscrire dès lors des projets menés par des forces régionales, bénéficiant d'une couverture internationale, et desservant les aspirations des modérés ?
Le pari sur un coup de force des pays du Golfe, qui interviendraient sur le terrain pour combattre aussi bien l'État islamique que le régime syrien, est peu probable. D'ailleurs, l'ancien ministre jordanien des Affaires étrangères, Marwan Moacher, a expliqué dans une lettre adressée au séminaire de Saydet el-Jabal le processus par lequel les pays arabes (et pas seulement l'Arabie) n'ont pas eu le réflexe d'épargner à la région une montée des extrêmes, qui désormais les dépasse. « Les pays arabes ont ignoré trois alertes : le rapport de l'Onu sur le développement humain dans le monde arabe en 2002 ; les débuts des soulèvements pacifiques en Tunisie, en Égypte, en Syrie et ailleurs ; et enfin le signal déterminant et la violence des forces barbares du fondamentalisme », a relevé M. Moacher, dans son allocution, dont a donné lecture le diplomate Michel Abou Abdallah.

Les moyens de rompre le cercle vicieux de la violence se situent donc dans une dynamique extra-étatique et transfrontalière, patiemment constituée par des modérés, toutes appartenances et vocations confondues. C'est un appel à la création d'un réseau de réformistes qu'a lancé ainsi l'ancien député Samir Frangié (lire par ailleurs). Ne cherchant pas à atténuer la gravité du conflit, ni ses dérapages communautaires, il a reconnu la difficulté d'emprunter la voie de la modération, contre la facilité d'une contagion des extrêmes (l'État islamique a généré en Europe la montée de l'extrême droite).


La révolte de Michel Kilo

Le choix ardu de la non-violence a néanmoins déjà été fait, irrévocablement, par de multiples composantes du tissu arabe. Les rebelles pacifiques syriens continuent d'en payer le prix de leur sang. C'est ce cri de révolte pour la démocratie et la dignité humaine que l'opposant Michel Kilo a transmis à Saydet el-Jabal, également à travers une lettre, lue par notre confrère d'an-Nahar, Élie el-Hage. Insistant sur le rôle des chrétiens, « dont le mutisme a contribué à l'émergence des terroristes », l'opposant syrien a estimé que le problème de cette communauté est de « se dérober à des questions cruciales, liées à leur présence dans le monde arabe ». Une question à laquelle il apporte une réponse catégorique : « Les chrétiens n'ont jamais été minoritaires dans leur pays. Ils ne peuvent donc rester neutres face au conflit en cours entre notre gouvernement corrompu et oppresseur, et nos peuples qui réclament la liberté, la justice et l'égalité », a-t-il déclaré. Cette position est relayée au Liban par des prises de position historiques de l'Église dès 1920. L'accent mis sur le rôle du patriarcat dans la naissance du Grand Liban n'a d'ailleurs pas été sans susciter des remarques dans l'assistance sur le retrait actuel de Bkerké et son mutisme sur les choix stratégiques à faire, ou sur les initiatives réformistes qui émanent des cercles sunnites modérés, comme la déclaration des Makassed ou celle de Marrakech.

Hier, à Saydet el-Jabal, un groupe de chrétiens, dans le cadre d'une assistance islamo-chrétienne liée par le souci commun de faire entendre la voix de la modération et du vivre-ensemble, a cherché à déterminer une autre voie, une autre attitude à suivre pour bâtir l'avenir, fondée non plus sur les enjeux de pouvoir ou les réflexes et les instincts, comme le souligne Farès Souhaid, mais sur une vision claire de soi et du rapport à l'autre, réfléchie, apaisée. Pour cela, l'appel à une « internationale de la modération » lancé par Samir Frangié devrait servir de phare à la mise en place, dans les jours à venir, d'une série d'initiatives concrètes visant à commencer à proposer une alternative pacifique et à faire contrepoids au déluge de violence et de folie identitaire qui ravage le Liban et son environnement.