De nouvelles valeurs pour un autre Liban

Nous sommes aujourd'hui, ici et dans le monde, à un tournant de l'histoire, porteur de tous les dangers.
Dans le monde, le rêve d'une mondialisation plus humaine s'est estompé avec le renforcement des inégalités, la concentration des richesses, le recul de la classe moyenne, engendrant de graves problèmes politiques qui menacent à terme la démocratie. À cela s'ajoutent les dangers que provoquent le réchauffement climatique, l'élévation du niveau des mers, la raréfaction de l'eau, etc. et qui remettent désormais en question la survie même de la planète.

Dans le monde arabe, le rêve d'une transition démocratique amorcée avec le « printemps arabe » a pris fin avec la répression sanglante menée par le régime syrien qui a entraîné la relance d'un conflit vieux de plusieurs siècles opposant sunnites et chiites et le réveil de rêves impériaux appelés à alimenter la violence, du rêve de l'Iran de redonner vie à un empire perse qui s'étendrait des côtes de la Méditerranée à l'Asie centrale, à celui d'Erdogan de faire de la Turquie l'héritière de l'Empire ottoman, ou encore celui de Poutine de redonner à la Russie son rôle de protectrice des minorités en Orient...

Au Liban, le rêve d'un changement pacifique amorcé avec le « printemps de 2005 » s'est heurté à l'opposition violente des partisans de la Syrie et au retour en force des crispations communautaires qui ont bloqué le fonctionnement des institutions de l'État.
Le compromis auquel sont parvenues les forces politiques avec l'élection présidentielle a certes contribué à freiner l'effondrement de l'État, mais son coût est élevé, car le Liban se retrouve, sans même l'avoir choisi, dans le giron de l'Iran.

Pour pouvoir jeter les bases d'un réel changement, ce compromis doit se fonder sur une démarche qui ne relève pas de la politique, mais de la morale : il nous faut rompre avec la culture de la violence que nous partageons, sans même en avoir conscience, avec les extrémistes de tous bords que nous cherchons à combattre.

Nous partageons avec eux le refus de la diversité qui est le propre des sociétés humaines, diversité sociale, culturelle, religieuse, ethnique, linguistique ...
Nous partageons avec eux cette « peur de l'autre » qui justifie les replis sur soi et légitime le recours à la violence.
Nous partageons avec eux le fait d'avoir détourné la religion de sa fonction essentielle qui est d'apprendre aux hommes à vivre ensemble et en paix pour l'instrumentaliser à des fins politiques.
Nous partageons avec eux cette vision binaire d'un monde divisé en deux camps, le camp du bien auquel nous appartenons nécessairement, et le camp du mal qui regroupe tous nos adversaires.

Cette rupture nous permet de refonder notre vivre-ensemble sur de nouvelles valeurs. À la haine, l'égoïsme, la cupidité, l'arrogance, devraient se substituer la solidarité, le don, la gratuité, l'empathie, la non-violence... Ces nouvelles valeurs, déjà fortement présentes dans les innombrables actions altruistes que mène la société civile, devraient nous permettre de redonner vie à cette expérience unique du vivre-ensemble que le Liban a connue et qui prend aujourd'hui avec la violence qui ravage notre région et s'étend à l'Europe et à l'Afrique une dimension nouvelle.

Cette rupture avec la culture de la violence, dominante depuis plus d'un demi-siècle déjà, ne relève pas d'un choix politique, mais d'une nécessité de survie, le Liban pouvant difficilement rester en marge des conflits de la région alors même qu'un parti représenté au gouvernement est engagé dans la guerre aux côtés du régime syrien et que plus d'un million et demi de Syriens ont déjà trouvé refuge au Liban.

Cet appel pour une nouvelle culture s'adresse à tous les Libanais, même à ceux qui continuent de croire en la vertu de la violence et commencent seulement aujourd'hui à découvrir le coût exorbitant de leur choix.
Il est grand temps, après toutes ces années de violence, de mesurer le bénéfice insoupçonné que pourrait nous procurer la non-violence.

TRIBUNE
| OLJ17/01/2017

Samir Frangieh