Faites les murs, pas la paix

A force de s’enfermer, ne va-t-on pas se retrouver dans notre labyrinthe avec des hordes de minotaures rôdant partout ?


Si j’ai bien compris, comme tout ce qui se passe aux Etats-Unis finit par arriver en France, on ferait peut-être mieux de ne pas trop se moquer de Donald Trump. Le mur le long de la frontière mexicaine, est-ce qu’on ne va pas le bâtir le long de la frontière italienne - tout en restant dans Schengen, évidemment, car il n’y a pas plus européen que nous (la preuve : on n’est pas chaud pour que des non-Européens mettent les pieds chez nous, on est pour la pureté de l’Europe) ? Le mur, c’est au demeurant une idée moderne qui vient du Vieux Continent. A Berlin, toutefois, le but n’était pas tant d’empêcher les gens d’entrer que de sortir. Mais qui sait ? Il y a toujours deux côtés à un mur et le côté attractif n’est pas toujours le même. On peut le construire dans l’enthousiasme général en prétendant que, comme ça, les autres n’entreront pas chez nous, et en plus ça donne du travail dans le bâtiment, et quand le bâtiment va tout va, et, une fois la construction achevée, découvrir avec stupéfaction que ce même mur destiné à nous protéger des envahisseurs nous laisse tout seuls avec nos fromages qui, même coulants, n’arrivent plus à passer la frontière. Et les murs, ça s’exporte, aussi. Avec tout le ciment qu’on a en Syrie, ce serait bien le diable qu’on n’arrive pas à y construire un mur ou deux. C’est qu’il y a du monde à emmurer, là-bas, faire d’un mur deux coups, travailler pour la paix en arrangeant notre commerce extérieur. Puisque les diplomates de carrière n’arrivent à rien, passons directement à la diplomatie des maçons, on gagnera un temps fou (et de l’argent).

En Chine, ils n’ont pas seulement la Grande Muraille qu’on voit de la Lune, ils ont aussi bâti un mur autour d’Internet qui est moins joli mais plus efficace. Aura-t-il la même longévité ? En tout cas, il ne se visite pas, il ne faut pas compter sur lui pour faire entrer des devises. C’est que le gouvernement chinois n’est pas à une brique près. On connaît le mur de l’argent, mais le mur de la honte, il semble qu’il se soit écroulé un peu partout. On est passé du mur à la ligne rouge, de la ligne rouge à la ligne jaune, de la ligne jaune à la ligne Maginot, et maintenant il n’y a plus de barrage, une inondation de honte qui a comme effet qu’on n’a plus honte, trop de honte tue la honte. Mais le mur de l’argent, rien n’empêche les premiers de cordée de l’escalader - ou de bénéficier de certaines grandes échelles et autres ascenseurs sociaux, quoique pas au sens où ces mots sont employés généralement : on ne peut pas dire qu’on dépense un pognon de dingue en vain et que les riches soient de moins en moins riches. Non non, de ce côté-là ça fonctionne, c’est le french dream.

Là-dessus, ne nous cachons pas qu’il y a des imbéciles. Tout ce qu’ils savent faire avec un mur, c’est aller droit dedans. Alors qu’une bonne vie de travail consiste à zigzaguer avant d’arriver à s’y écraser, ça laisse le temps de voir venir. L’horizon est moins bouché, on n’a pas tout le temps le mur dans le champ. Il y a toujours la solution de sortir des murs en construisant des barricades dans l’espoir qu’ajouter des murs aux murs se révèle un remède miracle. Il paraît que la brique est plus verte, de l’autre côté du mur. On ne sait jamais si on soutient le mur ou si le mur nous soutient, on est forcé d’être solidaire avec lui. Si j’ai bien compris, le mur nous tient par la barbichette.

Par Mathieu Lindon — 29 juin 2018  - Liberation